Réflexions et réflexivité sur les archives d’Internet : un problème de mémoire technique, culturelle ou politique des réseaux numériques ?

Portées par le courant des humanités numériques, les méthodes de préservation, de gestion et d’analyse des sources de la recherche en SHS sont concernées, voire bousculées par les processus et supports de documentation et de médiation informatisés et en réseau. Internet est le rêve et le cauchemar du documentaliste – ne serait-ce que parce que les réseaux informatiques produisent constamment des archives qui échappent à l’archiviste. Je propose de développer quelques considérations réflexives et pratiques sur cette archive fuyante et illusoire avant qu’elle n’existe sous sa forme institutionnelle (par exemple le dépôt légal), au moment où le chercheur commence à s’intéresser à elle comme matériau digne d’intérêt, mais sans avoir encore la théorie pour l’appréhender.

A travers plusieurs exemples issus de mes recherches doctorales et post-doctorales, je retracerai le parcours d’une archive émergente et vernaculaire : qui prend forme et parle à partir de son contexte de pratiques originales, des acteurs qui développent les dispositifs pour la faire exister. Je m’arrêterai sur les difficultés et les impasses rencontrées par le chercheur dans sa tentative pour l’appréhender et la soumettre à la manipulation et à l’analyse – notamment en mettant à jour la complexité en termes d’espace, de temps, et de profondeur de la matérialité d’Internet, mis en perspective avec la manière dont les usagers agissent et réagissent à l’archivage numérique de leur performance en contexte de communication en réseau. Enfin, j’essaierai d’interroger ce qui fascine aujourd’hui dans l’idée d’une archive numérique totale, et ainsi de comprendre comment le chercheur se confronte avec les documents et données numériques à des problèmes de maîtrise de la mémoire posée par l’usage des technologies informatiques et en réseau. Alors que les débats sur la surveillance généralisée ont resurgi partout, on pourrait dire qu’à travers l’intérêt actuel pour l’archive numérique on peut entendre l’institution parler, réagir, et peut-être évoluer.

Camille Paloque-Berges

Biographie
Camille Paloque-Berges est ingénieure de recherche au laboratoire Histoire des TechnoSciences en Société (Cnam). Docteure en Sciences de l’information et de la communication, elle a travaillé sur les cultures des pratiques communicationnelles natives d’Internet dans une perspective historique en thèse, puis sur la mise en archive d’un corpus de sources issus des conversations électroniques de communautés d’ingénieurs et de chercheurs impliqués dans le développement d’Internet en France dans les années 1980 et 1990 (post-doctorat Hastec). Elle continue aujourd’hui ses recherches sur l’histoire d’Internet, sa mise en archives, et sa patrimonialisation, en tentant de mettre au jour comment les réseaux de communication numérique sont devenus un objet de discours et de pratique « publiques ».
En savoir +

Posted in SPEL2014.